17 % des étudiants européens déclarent avoir déjà utilisé ChatGPT pour rédiger un devoir. Ce chiffre, brut et sans fard, en dit long sur l’emprise grandissante de l’intelligence artificielle au sein des universités. La Commission européenne, elle, insiste : intégrer ces outils dans l’enseignement supérieur suppose de protéger les données et d’instaurer des garde-fous. Pourtant, sur le terrain, la réalité oscille. Certains établissements laissent ChatGPT circuler sans réel encadrement, d’autres tentent de contenir l’outil, mais le consensus sur ce qu’il faut autoriser ou bannir reste introuvable. Des universités exigent la déclaration systématique de tout usage de l’IA dans les travaux étudiants. D’autres laissent la porte ouverte à des pratiques discrètes, voire occultes. Ce manque d’harmonisation n’est pas anodin : il expose les établissements à des complications juridiques et met à l’épreuve la capacité des équipes pédagogiques à préserver la valeur du diplôme.
ChatGPT à l’université : outil pédagogique ou source de dérives ?
Les usages de ChatGPT, propulsé par OpenAI, s’imposent dans les routines universitaires françaises. On ne compte plus les enseignants qui s’en servent pour illustrer un point de cours, générer des exemples de code ou, comme Daniel Courivaud, soutenir la correction et stimuler la réflexion informatique. Mais derrière la promesse d’un assistant polyvalent se cachent des lignes de fracture : jusqu’où déléguer la réflexion à une machine ? À quel moment l’outil devient-il un substitut à l’apprentissage ?
Voici les principaux usages et dérives observés :
- Production automatisée de devoirs : dissertations, synthèses, présentations livrées à la demande, en quelques clics.
- Risque de standardisation et perte de l’originalité dans les productions, qui finissent par se ressembler.
- Plagiat et triche facilités, avec des textes générés difficilement repérables malgré les dispositifs de contrôle.
L’essor de l’intelligence artificielle dans le monde académique invite à s’interroger. De plus en plus d’étudiants sollicitent ChatGPT pour obtenir un coup de pouce, parfois bien plus. Mais un tel recours massif fragilise l’acquisition de compétences humaines, comme la pensée critique ou la capacité à formuler une argumentation personnelle. Certains enseignants plaident pour une intégration raisonnée de l’IA, d’autres redoutent une dépendance qui minerait l’effort d’apprentissage.
Le prompt engineering s’impose déjà comme un savoir-faire à part entière, preuve que l’université doit s’adapter. Mais elle doit aussi rester vigilante : innover, oui, mais sans sacrifier le développement de l’esprit d’analyse et la capacité à douter, à chercher, à se tromper. L’équilibre reste à définir.
Quels risques réels pour l’intégrité académique et l’autonomie des étudiants ?
La démocratisation de ChatGPT bouleverse la perception du travail personnel à l’université. Plus besoin de s’arracher à la page blanche ou d’élaborer un plan complexe : l’IA promet une production rapide et structurée, accessible à tous. Mais derrière cette apparente démocratisation, le constat est plus nuancé. Les enseignants observent une augmentation des cas de plagiat et de triche. Les outils de détection, comme GLTR, GPTZero ou OpenAI-Detector, peinent à suivre la cadence des textes générés.
Voici les principales dérives identifiées par les équipes pédagogiques :
- Plagiat facilité, productions uniformisées et perte d’authenticité
- Baisse de l’engagement et du dynamisme scolaire
- Érosion de la capacité d’analyse et de la pensée critique
Face à la rapidité avec laquelle ChatGPT génère des contenus, la relation à l’effort change. Certains étudiants se contentent d’une légère retouche du texte fourni, d’autres l’intègrent tel quel, délaissant l’exercice de la réflexion autonome. Les outils anti-plagiat classiques (PlagScan, Duplichecker, Copyscape) détectent les ressemblances, mais l’aspect génératif et mouvant de l’IA leur échappe souvent.
Ce glissement fragilise l’autonomie. Là où la rédaction d’un devoir offrait un espace pour expérimenter, se tromper, progresser, l’outil tend à uniformiser et à court-circuiter le processus d’apprentissage. On risque de voir émerger une génération d’étudiants privés du bénéfice du doute et du questionnement personnel, ce qui constitue pourtant le socle d’une véritable formation intellectuelle.
Entre surveillance et confiance : comment les établissements gèrent-ils la transparence ?
Faut-il bannir ChatGPT ou encadrer son usage ? Les réponses varient selon les pays et les établissements. À New York, la décision fut sans appel : les écoles publiques ont interdit l’agent conversationnel, estimant que son usage menace la qualité des apprentissages. Sciences Po a adopté une posture similaire, sanctionnant tout recours à ChatGPT non déclaré.
En France, la plupart des universités combinent surveillance technologique et sensibilisation. Les enseignants s’appuient sur des outils comme GLTR ou GPTZero pour repérer la patte statistique des textes générés par IA. Le watermarking, technique d’insertion de motifs invisibles, s’invite aussi dans la lutte contre la triche. Mais aucune technologie ne garantit une détection infaillible : les résultats restent variables, selon les contextes et la sophistication des outils.
La question se pose alors : comment préserver la confiance sans basculer dans la suspicion permanente ? Stéphane Bonvallet, entre autres, défend une approche où l’on forme les étudiants à l’usage raisonné de l’IA, où la transparence prime sur la stigmatisation. Certaines universités instaurent des chartes, d’autres proposent des ateliers pour accompagner l’émergence de nouvelles pratiques.
Les stratégies mises en place s’articulent autour de trois axes principaux :
- Détection technique (watermarking, analyse statistique des textes)
- Règles institutionnelles (interdictions, chartes, mentions obligatoires sur les travaux)
- Dialogue pédagogique et formation à un usage réfléchi de l’IA
La gestion de la transparence se construit ainsi, à l’intersection de la technologie, de la réglementation et de la confiance accordée aux étudiants.
Vers une nouvelle éthique de l’enseignement supérieur face à l’intelligence artificielle
L’émergence de l’intelligence artificielle, à travers des modèles comme ChatGPT (conçu par OpenAI), amène les universités à repenser leur cadre d’action. Laurence Devillers, professeure à la Sorbonne et directrice de la chaire HUMAAINE au CNRS, le rappelle : la machine ne réfléchit pas, elle assemble des mots à partir de vastes jeux de données, sans conscience ni véritable compréhension humaine.
Mélissa Canseliet, spécialiste en cyberpsychologie et fondatrice de Humanet, insiste sur la nécessité de redéfinir le rôle de l’enseignant. L’équilibre est délicat : innovation technologique d’un côté, préservation du sens critique de l’autre. ChatGPT, capable de générer des “hallucinations”, ces réponses fausses mais crédibles, ou de reproduire des biais, complexifie le travail des enseignants.
L’évaluation, pierre angulaire du système éducatif, se trouve remise en question. Les formats classiques (dissertation, synthèse, code informatique) deviennent vulnérables à l’automatisation. Pour y répondre, plusieurs établissements expérimentent de nouveaux dispositifs :
- Épreuves orales, travaux collectifs, analyses critiques de textes produits par l’IA
- Intégration de l’IA dans certains modules de formation
- Valorisation du prompt engineering comme compétence nouvelle
- Encadrement déontologique et sensibilisation à l’éthique
La vigilance s’étend à la mention explicite de l’utilisation de l’IA, à la formation à la détection des biais, à l’accompagnement des étudiants vers une autonomie renforcée. Ce défi n’est pas qu’une question de technique ; il dessine en creux une nouvelle façon d’enseigner, d’apprendre et de transmettre.
L’université, à la croisée des chemins, doit s’inventer un nouveau cap face à l’intelligence artificielle. La question n’est plus de savoir si ChatGPT a sa place dans la salle de classe, mais comment guider les étudiants pour qu’ils restent maîtres de leur savoir, de leur jugement et de leur créativité. L’avenir de l’éducation se joue là, quelque part entre le code, l’humain et la recherche du sens.

